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Michel Hilaire, l’âme du musée Fabre

Vendredi 09 Mai 2025


En trois décennies, il a rénové ce lieu de référence, mené une politique modèle des publics, présenté des expositions majeures et fait entrer près de 3 000 œuvres, dont la moitié d’art contemporain, dans les collections.

Dans l’esprit des amateurs, les collections du musée Fabre de Montpellier doivent tout à François-Xavier Fabre, Alexandre Cabanel, Alfred Bruyas… et à Michel Hilaire !

Depuis mon arrivée dans le musée en 1993, je n’ai eu de cesse d’apprendre de ces merveilleux donateurs, que j’ai adoptés comme guides. Le musée Fabre est, depuis ses débuts, un musée de collectionneurs, et le public ressent cette dimension intime, à travers les oeuvres qui dialoguent entre elles. J’ai été habité par ce prisme, et nombre d’acquisitions
furent ainsi « naturelles », car, si elles sont de véritables prolongements du goût des aînés que vous citez, elles ont trouvé
spontanément leur place sur les cimaises. Il était ainsi tentant de s’inscrire dans les pas de Fabre pour enrichir les collections de paysages français autour de 1800, d’où l’acquisition des deux spectaculaires vues toscanes de Louis Gauffier, du prodigieux tableau de Pierre-Henri de Valenciennes, auprès de la galerie Talabardon & Gautier, ou de la Vue de Florence et de l’Arno par Joseph Wright of Derby, chez Michel Descours. Lorsque s’est présentée la possibilité de présenter les deux toiles de Fragonard découvertes par Thaddée Prate et classées trésors nationaux, je me suis demandé si Fabre aurait lui-même choisi ces oeuvres, qui nous permettent aujourd’hui d’établir le lien entre nos collections de paysages
italianisants du XVIIe siècle et ceux de sa génération.

D’autres enrichissements des collections sont plus « osés »…

Nous avons fait des choix, parfois pour rappeler quelques événements qui ont marqué l’histoire du musée, comme les visites de Gauguin et de Van Gogh en 1888, en insistant par exemple sur le lien avec Gustave Fayet, à travers la personnalité de George-Daniel de Monfreid, dont nous établissons un corpus. En 2017, une partie de ses fonds d’atelier avaient été dispersée à l’Hôtel Drouot chez Beaussant Lefèvre, et nous avions alors préempté un paysage et un autoportrait. Aujourd’hui, nous conservons dix de ses tableaux, dont les exceptionnels portraits de René Andreau et Gustave Le Rouge,
ou encore le petit dernier : le paysage de Lozère préempté à l’hôtel des ventes de Narbonne en novembre dernier.
La meilleure validation de nos acquisitions demeure l’engouement des autres musées qui sollicitent les prêts d’oeuvres énigmatiques comme le Mont-Saint-Michel sous l’orage de Théodore Gudin, que nous avions préempté à Drouot en 2017 et qui voyage depuis, ou encore de L’Hymen, de Jean-Baptiste Mallet, préempté en 2017 chez Audap & Mirabaud, cinq ans avant la rétrospective de l’artiste.

Comme Alfred Bruyas, vous avez ouvert le musée Fabre aux artistes de votre temps.

Mon séjour de pensionnaire à la villa Médicis, de 1987 à 1989, y est peut-être pour quelque chose. Les historiens de l’art y apprennent à pénétrer les ateliers, là où les artistes doutent. À Montpellier, j’ai retrouvé ce climat intimiste auprès des artistes Vincent Bioulès, Claude Viallat, Alain Clément… Ma grande chance fut l’amitié de Pierre Soulages, rencontré grâce à Michel Laclotte. Nous avons acquis deux polyptyques «Outrenoirs» en 1999 et, dans la foulée, nous avons imaginé une première exposition. C’est l’événement marquant grâce auquel nous avons obtenu l’autorisation de lancer le grand projet de travaux de rénovation du musée. Soulages est ensuite devenu un partenaire privilégié, de son implication dans la conception des salles à son impressionnante donation de 2005.

Peut-on dire que vous avez pris le relais du musée de Saint-Étienne ?

En quelque sorte, puisque nous conservons aujourd’hui l’un des plus beaux ensembles d’oeuvres du mouvement Supports/Surfaces et des artistes qui lui sont apparentés. Nous n’avons pas encore communiqué une magnifique nouvelle, mais l’héritier de Jean Fournier a décidé en décembre dernier d’offrir au musée toutes les oeuvres de Simon Hantaï, James Bishop, Shirley Jaffe et Jean Degottex qui s’y trouvaient en dépôt depuis l’exposition inaugurale de 2007, «La couleur toujours recommencée», organisée en hommage à ce galeriste qui a défendu ces nouvelles formes artistiques de 1954 à 2006.

Les marchands ont été de véritables complices…

Je dois beaucoup à Clovis Whitfield, Jacques Leegenhoek, Étienne Bréton, Éric Coatelem, Thierry Mercier, mais aussi à Michel Descours, Maurizio Canesso, ou encore au regretté Giovanni Sarti, auprès duquel nous avons acquis, juste avant sa disparition, La Résurrection du Christ de Guillaume Bonoyseau. Je citerais aussi volontiers Daniel Templon et Jérôme Poggi.

Vos expositions font souvent suite à des acquisitions, et parfois l’inverse est vrai.

Il y a eu de belles surprises. En 2013, pour rendre hommage à Françoise Cachin qui nous avait tant aidés grâce à Frame – un réseau d’échanges (coopérations, expositions, etc.) entre musées de région français et américains – et qui avait publié le texte écrit par Signac au musée Fabre, nous avons organisé la rétrospective du peintre. À la suite de celle-ci, Charlotte Cachin nous a fait don d’un magnifique lavis de Signac. Il y a aussi les expositions incontournables. Nous nous devions de faire celles dédiées à Fabre en 2007 pour la réouverture, à Raoux en 2009-2010, à Cabanel en 2010, à Ranc en 2020, à Germaine Richier en 2023, à Jean Hugo en 2024… D’autant que nous avions beaucoup oeuvré dans notre politique d’acquisitions autour de ces artistes « maison », avec la complicité de Pierre Stépanoff. Certaines expositions, comme «Le goût de Diderot» en 2013- 2014, celles consacrées à François-André Vincent, la même année , ou à Louis Gauffier en 2022, ont stimulé notre politique d’acquisitions.
De là découlent les préemptions du Trompe-l’oeil avec le portrait en médaillon du comte de Caylus de Coustou, chez Fraysse en 2020, de La Peinture ébauchant le tableau de Tullie de Dandré-Bardon, expertisé par René Millet en 2023, du Renaud et Armide de François- André Vincent, chez Baron Ribeyre & Associés en 2013, et de son pendant que nous avions alors raté et finalement « rattrapé » chez Perrin, Arria et Poetus, ou encore de L’Oiseau volé de Pauline Gauffier, un petit bijou acquis chez Christie’s en 2021.

Qu’avez-vous appris de François-Xavier Fabre depuis la rétrospective de 2007 ?

En 2007, je voulais que la singularité de Fabre, Florentin d’adoption, qui s’épanouit loin de David, son maître, soit révélée.
Depuis, nous avons acheté de nombreux portraits, de celui du jeune Edgar Clarke à ceux des époux Grimaldi ou Bertin. Avec le temps, grâce à l’entrée dans nos collections de dessins et de tableaux, les contours du paysagiste semblent une évidence, et nous avons redécouvert un rival, aussi brillant que Bertin, Bidault, Dunouy ou Valenciennes. En mai 2024, nous ne pouvions pas laisser nous échapper deux oeuvres, provenant de la collection de mon amie, la regrettée Laure Pellicier, sans laquelle la rétrospective de 2008 n’aurait pu être possible. Chez Me Farran, nous nous sommes donc portés acquéreurs du petit Saint Sébastien de 1790 et de l’étonnant Christ rédempteur de 1800.

Quelles sont les oeuvres que vous avez manquées et que vous regrettez le plus ?

Sans hésiter, je dirais La Toilette d’une jeune mariée de Vien, de 1777, qui provenait de la collection Boussairolles. Une immense déception. Mais je pense aussi au Télémaque, pressé par Mentor, quitte l’île de Calypso de Charles Meynier, dont le prix s’est envolé aux enchères chez Ivoire à Nantes en 2018, jusqu’à 1,8 M€, au Portrait de Jean-Louis de Roll Montpellier en chasseur de Jean Ranc, à l’Autoportrait de Frédéric Bazille en chemise chez Cornette de Saint Cyr en 2021, et enfin et surtout à La Tireuse de cartes, de Bazille encore, à laquelle je pense depuis 1994 !

Certaines acquisitions vous ont sans doute donné des sueurs froides ?

En effet, et notamment deux tableaux de Bazille, provenant de la famille, lors de leur dispersion à Drouot en 2004. Après avoir réussi à préempter le lot n° 11, la Petite Italienne, chanteuse des rues, jamais, au grand jamais, je n’aurais pensé réussir un doublé en décrochant aussi le lot n° 13, le Jeune Homme nu couché sur l’herbe ! L’Hôtel Drouot est tout à la fois le temple des découvertes et des redécouvertes, et le lieu de référence pour les conservateurs français. Je jubilais intérieurement et, ce soir-là, j’ai compris que nous consacrerions un jour une rétrospective à cet artiste mort à 28 ans. En 2016, ce voeu s’est exercé avec l’un des plus talentueux conservateurs de sa génération, Paul Perrin. Le grand oeuvre de ma carrière reste toutefois l’achat du Dieu fleuve, réuni à notre Vénus et Adonis. Nous les avons présentés ensemble en 2008. La toile, commandée par Cassiano dal Pozzo à Poussin en 1626, avait été découpée en deux vers le milieu du XVIIIe siècle.








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