Farran | Commissaires Priseurs

Le Vu Cao Dam d'Albert Sarraut

Vendredi 12 Mai 2023


Conservé dans la famille de l’ancien ministre, ce nu féminin de l’artiste vietnamien signe la redécouverte d’une collection dont la trace avait été perdue.


Une fois encore, le calme immanent à la peinture vietnamienne ne manque pas de captiver notre regard contemporain. Silencieuse et délicate, l’œuvre magnifie avec grâce un quotidien intime, éloigné du bruit et de l’agitation. De ce modèle aux délicates courbes matissiennes, on admire la volupté des couleurs sur le support de soie, rendu charnel par une palette nuancée, capable dirait-on de rendre le souffle imperceptible de la respiration. Une chevelure d’encre relevée en chignon glisse doucement de cette tête penchée, presque calligraphiée sur un fond vert or. Comme un écho à l’assise pourpre, le cachet de Vu Cao Dam structure solidement la composition, laissant au silence toute liberté pour s’exprimer. Entre Orient et Occident, entre Indochine et France, Vu Cao Dam signe ici – en caractères latins et vietnamiens – une œuvre syncrétique maniant impeccablement la belle technique de la première et la modernité de la seconde. Rappelons que le peintre est à bonne école. Élève talentueux de Victor Tardieu, cofondateur de l’École des beaux-arts de Hanoï, il sort premier de sa promotion en juin 1931 et ne tarde pas à rejoindre Paris à la fin de l’année. D’abord reconnu pour la qualité de ses bronzes, la guerre entrave sa pratique de sculpteur. Il s’essaie alors à de rares terres cuites et renoue avec la peinture sur soie, travaillant dans son appartement du 32, rue Alphonse-Bertillon, à Paris. C’est durant cette période qu’il brosse ce nu d’une sereine modernité, en contradiction avec le quotidien brutal de la guerre. Dès 1946, son travail exposé à la galerie Van Riek est encensé par les critiques d’art et les collectionneurs, séduisant jusqu’au président Ho Chi Minh, alors de passage à Paris. Albert Sarraut (1872-1962) – ancien ministre des Colonies dont Cao Dam avait réalisé le buste avant la guerre – se porte acquéreur de notre œuvre. Dès lors, ce grand nu sur soie ne quittera plus la collection familiale et manquera de disparaître aux yeux des spécialistes du peintre. C’est à la faveur d’un inventaire à Montpellier que cette soie contrecollée sur carton, par le peintre lui-même, est redécouverte, déposée à l’abri de la lumière pendant plusieurs décennies. Grâce à l’aide précieuse de la fille de l’artiste, la toile est authentifiée et immédiatement présélectionnée pour être présentée lors de l’exposition du musée Cernuschi, consacrée aux peintres vietnamiens Mai-Thu, Vu Cao Dam et Lé Phô. C’est au futur adjudicataire que reviendra le choix de dévoiler ou non cette œuvre au public.
Dimanche 11 juin, Montpellier. Farran Enchères OVV

Par Marielle Brie


Vu Cao Dam (1908-2000), Nu assis, 1938, peinture sur soie, contrecollée sur un cartonnage, datée 1938, 59 x 46 cm, support cartonné : 64,5 x 50 cm.
Estimation : 60 000/100 000 €

Photographie de William Moureaux, meilleur ouvrier de France