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Le tableau russe atteint des sommets

Samedi 28 Juillet 2018
DIMANCHE 29 JUILLET 2018

Enchères.

Le tableau d'un impressionniste russe a été adjugé 450 000 € aux enchères hier à Vernon. L'œuvre, qui appartenait à une famille normande depuis 1925, va retourner en Russie.

« On a quelqu’un dans la salle les internautes ! » Hier dans l'hôtel des ventes de Vernon, un hangar défraîchi, les invisibles acheteurs du live devant leur ordinateur coiffent souvent au poteau les quelque quatre-vingts personnes bien présentes, mais quelque peu endormies en ce milieu d'après-midi. L’ambiance est détendue, la maîtresse de cérémonie plaisante : « Ne vous montrez pas du doigt, vous allez enchérir ! ».

Devant la commissaire-priseur Lydie Brioult trône sur son chevalet l’œuvre, lui aussi patiné par le temps et protégé par un cordon. Ce tableau intitulé « La Véranda » a été découvert en Normandie dans un lot au hasard d'une succession. C'est une huile sur toile de 1922 du « Monet Russe » Korovine Constantin Alexeïevitch (1861-1939), qui fait partie d'une série de vues intérieures de la datcha du peintre en Crimée. « Très apprécié de son vivant, il a été complètement oublié ensuite avant d’être redécouvert dans les années quatre-vingt-dix. C'est une œuvre inconnue sortie par un commissaire de province... Cette vente serait l'événement de l'été à Drouot ! », explique Ivan Birr, expert indépendant et responsable du département d'art Russe à la maison parisienne de vente Leclere. Au-delà de l'anecdote, c'est « un tableau très fort, avec un traitement des lumières exceptionnel... Le plus beau Korovine que j'ai vu ». Pour lui, l'œuvre ne représente pas moins que « la lumière d'un monde qui va disparaître », celui de la Russie d'avant-Révolution. « C'est une de ses dernières toiles peintes dans le pays, le témoignage d'une Russie rêvée qui survit à travers l'art, malgré les bouleversements de l'histoire ». Un âge d'or pour le peintre, qu'il ne connaîtra plus : « Une fois définitivement émigré, il peindra pour vivre de vues de Paris la nuit, des cartes postales... Mais rien d'aussi intéressant ».

560.000 € AVEC LES FRAIS

Après de nombreuses recherches, c'est Jacques, un stagiaire de l’étude, qui a déchiffré la signature en cyrillique et ainsi identifié son illustre auteur, qui a aussi peint des paysages normands, dont une vue de Dieppe en 1889. Paris et la Normandie étaient « des passages obligés » à l’époque pour tout artiste qui se respectait.

Dans la salle, une guitare d’Arman ne trouve pas preneur, mais une petite gravure numérotée de Rembrandt mise à prix 400 € monte immédiatement à 2 200. Après divers bibelots, estampes japonaises, appareils photo, gravures ou vieux papiers, la pression monte peu à peu dans la salle. À 16 h, c’est enfin le très attendu lot 113. La salle un peu léthargique se réveille et bruisse crescendo, provoquant des « chuuut » sonores. Les téléphones sortent pour filmer le moment presque historique pour cette petite étude. Les mystérieux acheteurs sont représentés par des quidams aux airs complotistes, dans les starting-blocks, oreille au téléphone en cachant leur bouche.

Mis à prix à 40 000 €, les enchères s’envolent rapidement. Si l’œuvre n’atteint pas le million d’euros comme un tableau similaire de Korovine vendu chez Sotheby’s à Londres en 2007, la somme entérinée par le marteau et saluée par une salve d’applaudissements reste conséquente : 450 000 € (560 000 avec les frais). « C’est le tableau le plus cher de ma carrière ! » se réjouit Lydie Brioult, qui dit « adore(r) son métier ».

Le peintre, aux toiles peu réalistes et sans aucune visée sociale, était considéré comme « décadent » par les révolutionnaires. Il a désormais une bonne place dans un tout nouveau musée de l’impressionnisme à Moscou, situé dans une ancienne usine de confiserie de la marque… « Bolchevik ». Cette « Véranda » le rejoindra-t-elle ? Ce dont on est sûr, c’est que le tableau s’envolera bien prochainement pour la Russie. Une belle revanche posthume pour l’artiste.

Joce Hue.

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