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Alain Jacquet, dandy pop

Vendredi 27 Mai 2011
Artiste pionnier du pop art, Alain Jacquet ne peut pourtant pas être classé dans un mouvement. Panorama complet de ses oeuvres, en une vacation...

Selon Baudelaire, « Le mot dandy implique une quintessence de caractère et une intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde». Loin de son acception la plus commune, «superficiel», on s’accordera, pour qualifier Alain Jacquet, sur cette définition... Est-ce à cause d’une jeunesse dorée à Neuilly-sur-Seine qu’il porte ce regard ironique et détaché sur ce monde qui l’entoure ? Nul ne sait. Seule certitude, il s’intéresse très tôt à l’art. Pensez donc, il est âgé d’à peine vingt ans lorsqu’il est présenté pour la première fois avec d’autres artistes, à la Fontaine des quatre-saisons à Paris, et dès l’année suivante bénéficie d’une exposition personnelle à la galerie Berteau. Ses Compositions abstraites, vivement colorées, enthousiasmèrent Lucio Fontana et l’on remarquait aussi une suite de cylindres alignés comme une palissade. Palissade  ? Le mot évoque le travail de Raymond Hains avec ses affiches lacérées, certes, mais aussi celui d’un artiste américain, Andy Warhol avec ses piles de Brillo. Alain Jacquet est à l’époque un familier des artistes américains de Paris, notamment Larry Rivers et Jasper Johns, rencontrés grâce à l’écrivain Harry Mathews, premier époux de Niki de Saint Phalle. En 1961, il visite aussi l’exposition de Rauschenberg chez Daniel Cordier. Chez les uns et les autres, on retrouve cette même démarche d’appropriation du quotidien, avec peut-être chez Jacquet, un regard ironique et une certaine morale en plus. Concernant la série Image d’Épinal de 1962, il expliquera en 1998, dans un entretien avec Sylvie Couderc : «Les images étaient traitées pour leur effet plastique avec des couleurs juxtaposées. D’autre part et sur un tout autre plan, ces images étaient des commentaires critiques». Ainsi, pour Image d’Épinal : l’apothéose de Napoléon, il tient à préciser qu’»après l’apothéose était la chute et que la Deuxième Guerre mondiale avait sonné le glas de l’école de Paris».

L’artiste poursuivra cette veine colorée, brouillant les pistes, revisitant les grands maîtres de l’art et ses contemporains à l’aune de symboles de la société de consommation. C’est la série des Camouflages, avec Le Déjeuner sur l’herbe d’après Manet, en 1964, un tableau qui va occulter ses autres oeuvres. Il fait poser ses amis, Pierre Restany et sa compagne ; le cliché sera reproduit, agrandi et reporté en sérigraphie sur une toile grossière. «L’image est traitée à travers le pointillisme de la trame photographique», écrit Catherine Millet dans son article «Alain Jacquet, point final», paru dans Libération le 9 septembre 2008. «Si bien que nous, spectateurs, nous nous trouvons à contempler un champ mouvant de points bleus, jaunes, rouges et noirs»... Ce point agrandi va le mener à celui de l’écriture braille – à l’oeuvre en trois dimensions – et au pixel. Arrivé à ce fameux point, Alain Jacquet renoue à sa façon avec la peinture à l’huile, retravaillant des photos de la Terre prises par les astronautes de la Nasa. Il les travaille à l’ordinateur – c’est l’un des premiers artistes à utiliser ce médium – et les peint de ses visions. Il déclare à Françoise-Claire Prodhon, dans un entretien en 1989 : «Je me suis aperçu que des représentations pouvaient surgir lorsqu’on observe l’image pendant un certain temps, et donc qu’il se dissimulait une sorte d’image virtuelle à l’intérieur de ces photographies». Avec les étoiles et les planètes, il complète son cosmos d’étranges éléments. Le bleu de la planète est rendu comme un glaçage de «donut», un beignet évidé au centre. Ce provocateur a rejoint en 2008 ses amis Warhol, Gainsbourg, Tinguely... On pourrait lui attribuer pour épitaphe ce poème de Jacques Farran : «Le beau est mort entre mes doigts/ Mais je ne vis que pour l’art/ C’est lui qui demeure sans moi,/ Dans mon dandysme exutoire»...

Anne Foster.